11
Accroupi et le nez au niveau de la plinthe, le sergent Trotter suivait le parcours des fils. Il interrogea Giles :
— Il y a un second poste ?
— Oui, dans notre chambre, au premier. Vous voulez que je monte voir ?
— Oui, s’il vous plaît.
Trotter ouvrit la fenêtre, se pencha et balaya la neige accumulée sur le rebord. Giles grimpa l’escalier quatre à quatre.
*
Mr Paravicini était dans le grand salon. Il ouvrit le piano à queue, s’assit sur le tabouret et se mit à jouer un petit air en sourdine, avec un seul doigt :
Trois souris
Trois souris
Trois souris aux yeux crevés
Trottinaient-menu…
*
Christopher Wren était dans sa chambre. Il allait et venait en sifflotant gaiement. Et soudain son sifflotement tremblota, mourut. Il s’assit sur le bord de son lit. Il enfouit son visage dans ses mains et éclata en sanglots convulsifs.
— Je n’en peux plus ! hoqueta-t-il comme l’eût fait un enfant.
Et puis tout aussi soudainement son humeur changea. Il se leva, carra ses épaules.
— Il faut que je tienne le coup, s’admonesta-t-il. Il faut que je tienne le coup jusqu’au bout.
*
Giles avait atteint le téléphone, dans leur chambre à Molly et à lui. Il s’agenouilla pour examiner le fil qui courait au ras de la plinthe. Un des gants de Molly était tombé par terre. Il le ramassa. Un petit rectangle rose, un ticket d’autobus, s’en échappa. Pétrifié, il le regarda retomber en vrille sur le parquet. Son visage avait changé. Quand il regagna la porte à pas lents, l’ouvrit et demeura un moment sur le seuil, il n’était plus le même. On eût dit un autre homme qui regardait vers le palier, comme perdu dans un cauchemar.
*
Molly épluchait la dernière pomme de terre. Elle mit le tout dans une casserole, et la casserole sur le feu. Elle jeta un coup d’œil au four. Tout était en route, comme il se devait.
Sur la table de la cuisine traînait le numéro, maintenant vieux de deux jours, de l’Evening Standard. Elle fronça les sourcils. Si seulement elle arrivait à se rappeler…
Brusquement, elle porta ses mains à ses yeux.
— Oh, non ! gémit-elle. Oh, non !
Lentement elle laissa retomber ses mains. Elle regarda la cuisine autour d’elle comme quelqu’un qui découvre un endroit inconnu. Elle semblait si vaste, si chaude, si accueillante cette cuisine où flottait une appétissante odeur de petits plats en train de mijoter.
— Oh, non ! répéta-t-elle dans un souffle.
Elle se dirigea lentement, comme une somnambule, vers la porte qui donnait dans le hall. Elle l’ouvrit. La maison était silencieuse – si on exceptait quelqu’un qui sifflotait.
Cet air…
Molly frissonna et battit en retraite. Elle attendit une minute ou deux, balayant à nouveau du regard la cuisine familière. Oui, tout était en route et cuisait doucement.
Elle retourna alors à la porte.
*
Le major Metcalf descendait à pas de loup l’escalier de service. Il se figea un instant sur la dernière marche avant de traverser le hall pour aller ouvrir la porte du cagibi qui se trouvait sous l’escalier principal et y jeter un coup d’œil. Tout semblait tranquille. Personne dans les parages. Autant en profiter pour faire ce qu’il avait décidé…
*
Mrs Boyle, restée dans la bibliothèque, tourna avec irritation le bouton de la radio.
Sa première manœuvre l’avait propulsée au beau milieu d’une causerie sur les origines et la signification profonde des comptines. Bien le dernier des sujets qu’elle avait envie d’entendre aborder ! Malmenant le bouton dans son exaspération, elle entendit une voix éminemment cultivée lui confier : « La psychologie de la peur obéit à des règles qu’il importe de bien comprendre. Imaginons un instant que vous soyez seule dans une pièce. Une porte s’ouvre tout doucement derrière vous… »
Une porte s’ouvrit bel et bien dans son dos.
Dans un sursaut de tout son être, Mrs Boyle se retourna d’un bond.
— Oh ! c’est vous, fit-elle avec soulagement. L’ineptie de ces programmes radio ! Impossible de trouver quelque chose qui vaille qu’on l’écoute.
— À votre place, je ne me soucierais pas d’écouter la radio, Mrs Boyle.
— Que pourrais-je bien faire d’autre ? répliqua-t-elle avec humeur. Bloquée dans cette maison avec un assassin en puissance… Non que je croie un seul instant à cette histoire tout juste bonne à faire pleurer dans les chaumières, mais…
— Vous n’y croyez pas, Mrs Boyle ?
— Mais enfin… mais qu’est-ce que c’est…
La ceinture de l’imperméable lui fut si rapidement passée autour du cou qu’elle se rendit à peine compte de ce qui lui arrivait. Le son de l’amplificateur radio fut poussé au maximum. Le conférencier en psychologie de la peur se mit à brailler ses doctes remarques, couvrant ainsi les bruits éventuels qui auraient pu accompagner l’exécution de Mrs Boyle.
Mais, de bruit, il n’y en eut guère.
L’assassin, pour ça, connaissait trop bien son affaire.